Najat Vallaud-Belkacem. Crédit photo : JA
Depuis son arrivée au ministère de l'Éducation nationale, cette icône de la gauche d'origine marocaine suscite la haine de l'extrême droite. Mais Najat Vallaud-Belkacem n'en a cure : elle est le membre du gouvernement le plus populaire.
François Hollande l'avait prévenue en la nommant, le 26 août, à la tête du ministère de l'Éducation nationale, et ça n'a pas raté. Première femme à occuper un poste qui n'avait jamais connu de ministre aussi jeune (36 ans) et à la double nationalité (franco-marocaine), Najat Vallaud-Belkacem a été immédiatement la cible d'une droite extrême et souvent xénophobe qu'exaspèrent sa défense du mariage homosexuel, son féminisme militant, mais aussi, plus bassement, ses origines maghrébines.
Il entre une bonne part de jalousie dans ces attaques parfois infâmes, tant la trajectoire de la nouvelle promue a été celle d'un météore. Pensez ! Née en 1977 à Bni Chiker, un bourg du Rif marocain sans eau courante ni électricité, celle dont le prénom signifie "salut" en arabe se retrouve propulsée quatrième personnage de la République française et responsable d'un budget de 64 milliards d'euros, de 840 000 enseignants et de 12 millions d'élèves. Mieux, selon un sondage de l'institut Odoxa publié dans Le Parisien du 6 septembre, elle est le ministre le plus populaire du gouvernement Valls. Un "parcours sans faute", comme on dit dans les médias. Ou encore un "symbole de la méritocratie républicaine".
De fait, elle est passée sans heurt d'une cité d'Amiens (nord de la France), où son père, ouvrier du bâtiment, avait fait venir sa femme et ses sept enfants, à Sciences-Po Paris, où elle rencontre Boris, son mari, et Caroline Collomb, la femme du député-maire de Lyon. Elle rate deux fois le concours de l'ENA et, en 2002, adhère au Parti socialiste (PS) en réaction à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle.
Membre du cabinet de Gérard Collomb, puis adjointe au maire, conseillère générale du Rhône et conseillère régionale, elle force l'estime de Ségolène Royal, candidate socialiste à la présidentielle de 2007, qui en fait son porte-parole. La naissance de Nour et Louis, ses jumeaux, en 2008, n'arrête pas son ascension. Secrétaire nationale du PS chargée des questions de société, elle accepte de devenir le porte-parole du candidat du parti à la présidentielle de 2012, un certain François Hollande.
Ministre des Droits des femmes et porte-parole des gouvernements Ayrault, ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement Valls I, elle est propulsée à la tête du "mammouth" de l'Éducation nationale lorsque Benoît Hamon en est évincé en raison de sa solidarité avec Arnaud Montebourg, le très frondeur ex-ministre de l'Économie.
Compatible avec toutes les sensibilités socialistes
Hollande et Valls ont finement joué. Najat est un hybride compatible avec toutes les sensibilités socialistes et ne fait partie d'aucun courant. Son mari était directeur de cabinet de Montebourg. Sociale-démocrate affirmée, donc proche en économie du président et du Premier ministre, elle est classée progressiste sur les questions de société, car elle a défendu la gestation pour autrui (GPA).
Autant dire que sa promotion rassure l'aile gauche du parti, puisqu'elle équilibre celle, beaucoup plus irritante à ses yeux, de l'ancien banquier d'affaires Emmanuel Macron au ministère de l'Économie. Le 31 août, cette "sociale-libertaire", comme disent ses adversaires de l'Union pour un mouvement populaire (UMP), est ovationnée lors de la clôture de l'université d'été du PS, à La Rochelle, alors que Manuel Valls vient de se faire siffler. Elle est un trait d'union au sein d'un parti en mille morceaux.
Le secret de cette réussite ? "Elle est sympa, modeste, jamais agressive, tout le contraire d'une Rachida Dati ou d'une Rama Yade, explique une de ses condisciples de Sciences-Po. Elle attend qu'on vienne la chercher, son ambition n'est pas visible." D'autres confirment sa gentillesse, qui désarme nombre de ses adversaires. Elle qui a défendu bec et ongles "la liberté des femmes à disposer de leur corps" a réussi à mettre dans sa poche la très raide et très islamiste Bassima Hakkaoui, ministre marocaine de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social.
Charmante et naturelle, elle manie la langue de bois avec élégance et le storytelling avec efficacité, ce qui fait enrager ses adversaires, du dedans et du dehors. Certains l'accusent de "sonner creux", d'autres d'être une "fausse valeur". Gérard Collomb, son ancien mentor, persifle qu'elle "sait moins produire que vendre". Un vrai petit bulldozer de charme, pourtant, qui promet que "si des maires ne font pas respecter la loi [sur les rythmes scolaires], les préfets le feront à leur place".
En fait, elle s'est construite jusqu'au bout des ongles et l'avoue sans fausse pudeur : "Entre l'inné et l'acquis, j'ai toujours privilégié le second." Elle s'emploie donc à surmonter le "complexe de l'imposteur", propre, dit-elle, "aux femmes et aux gens qui viennent d'ailleurs". Elle refuse d'être la "beurette de service", porte des tailleurs stricts pour se vieillir, serre des mains à n'en plus finir et parle à tout le monde. Royal ne lui a-t-elle pas appris que cultiver sa popularité est "essentiel" ?
Cette icône de la gauche était une cible trop tentante, les hebdomadaires Valeurs actuelles et Minute n'y ont pas résisté. Pour l'un, elle est un "ayatollah", pour l'autre "une Marocaine musulmane à l'Éducation nationale". Certains membres de l'UMP, comme le député de Paris Claude Goasguen, ont jugé ces débordements "indignes".
Confusion entre l'islamisme radical, très minoritaire, et l'islam de France
Pourquoi tant de haine ? "Nous sommes plongés dans un climat de doute et de crise morale qui rappelle les années 1930, explique Christian Delporte, professeur à l'université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines et auteur de Come back ! Ou l'art de revenir en politique (Flammarion). Le discours de l'extrême droite repose traditionnellement sur de fausses idées simples. Hier, si la France allait mal, c'était la faute aux Juifs. Aujourd'hui, [l'extrême droite] joue sur la confusion dans l'opinion entre l'islamisme radical, très minoritaire, et l'islam de France, et elle affirme que, s'il y a tant de chômage, c'est à cause des Maghrébins." Le bouc émissaire est devenu musulman, même non pratiquant comme Najat.
Le jour de la rentrée, à Clichy-sous-bois, avec François Hollande.
© ETIENNE LAURENT / POOL / AFP
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Celle-ci n'en a cure. Elle plane à 51 % d'opinions favorables dans le sondage Odoxa. Elle a confiance dans la vie, que sa mère lui avait prédite plus riche que ses rêves. Elle ne s'est jamais posé la question de savoir si elle se sentait française. Elle est toute à son nouveau travail : rassurer les parents, faire de l'école un "havre de paix", éradiquer l'inégalité entre filles et garçons. Par-dessus tout, prouver que, comme pour elle, l'école doit être "la voie royale de l'intégration". Un programme ? Non, une "mission".
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