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jeudi 19 novembre 2015

#enquete: Réussir dans la vie sans y perdre son âme, c'est possible?

Ecrit par bbela  |  le  jeudi 19 novembre 2015 pas de commentaires

 "Passer dans 'l'autre camp', celui des 'dominants', c'est s'exposer à un dilemme. D'un côté, on aspire à cette promotion et de l'autre on a l'impression de trahir son milieu."Istock



Méritants, ils oscillent régulièrement entre conflit de loyauté et sentiment d'imposture. Rencontre avec ces "transclasses" qui, malgré les difficultés de parcours, ont décidé de réinventer leur identité.


Affaires florissantes, réseaux influents et maison cossue...À 43 ans, Karim, chef d'entreprise dans l'informatique, affiche tous les signes extérieurs de la réussite. "Pourtant, je suis loin d'être né avec une cuillère en argent dans la bouche!", s'amuse-t-il. "Mon père était ouvrier, ma mère femme au foyer. Avec mes cinq frères et soeurs, nous avons eu une enfance heureuse mais modeste. Très tôt, je n'ai eu qu'une idée en tête, grimper dans l'échelle sociale." 

Ce sont ses résultats en mathématiques qui permettront finalement à Karim de gravir les échelons. "Après le lycée, j'ai intégré une très bonne prépa parisienne, à une heure trente de RER de chez moi. Je suis ensuite entré dans une prestigieuse école d'ingénieur. Quelques années plus tard, j'ai monté ma propre entreprise", énumère-t-il. 

Cette trajectoire ascendante fait la fierté de ses parents, heureux que leur fils soit finalement venu à bout de ce chemin semé d'embûches. "C'est logique", estime Vincent de Gaulejac, sociologue clinicien auteur de La névrose de classe (éd.HG). "Pendant des siècles, nous avons été définis par nos identités héritées. Les possibilités de changer de milieu étaient très minces. Aujourd'hui, c'est l'inverse. On attend de nous que nous soyons le seul moteur de notre existence sociale."  

Pour concrétiser ce qui est latent, il faut un élément déclencheur

Comme Karim, Barbara a toujours refusé de se laisser enfermer dans les cases figées du déterminisme sociologique. Fille d'un maçon et d'une femme de ménage, élevée dans une petite ville de l'est de la France, cette jeune architecte de 29 ans a très tôt cherché à s'extraire de son milieu d'origine. "On me disait que j'étais à part, 'l'intello' de la famille", se souvient la jeune femme. "Cette image m'a permis décomplexée. J'étais deux fois plus motivée."  

Malgré tout, l'ascension sociale n'est pas uniquement conditionnée à un tempérament volontaire ou à une exceptionnelle ténacité. Pour concrétiser ce qui est latent, il faut un élément déclencheur. "Dans mon cas", poursuit Barbara, "cela a été la rencontre avec une prof de français, à l'âge de douze ans. Elle m'a emmenée au cinéma, m'a fait découvrir des expos. Ces sorties m'ont ouvert l'esprit, m'ont donné envie d'un ailleurs que je ne connaissais pas mais que je percevais déjà confusément."  

"Pour comprendre le phénomène des transclasses, il faut prendre en compte les différences fines", analyse Chantal Jaquet, philosophe, auteure de Les transclasses ou la non reproduction (éd.Puf). "Il y a d'une part la personnalité, d'autre part ce que les parents projettent sur leur enfant, mais aussi le volontarisme politique ou social, avec les bourses par exemple. Tous ces éléments s'imbriquent et concourent à faire du transclasse ce qu'il est."  

Des injonctions contradictoires parfois dures à gérer

À mesure que ce dernier se détache de son milieu, qu'il s'éloigne progressivement vers d'autres sphères, le malaise grandit. Le décalage se mue parfois en véritable fossé. "C'est très déstabilisant. On est pris entre deux feux, entre la fierté liée à nos origines et l'envie de faire partie d'un nouvel univers", détaille Karim. 
"Je suis attachée de presse. Dans ce métier, il est essentiel d'être vu, de fréquenter des endroits à la mode. Un jour, mes parents sont tombés sur l'une de mes notes de restaurant. Le montant les a vraiment choqués", confie Lucie, une jeune femme de 25 ans, originaire d'un petit village bourguignon. En touchant aux repères culturels, à l'éducation et aux valeurs, la mobilité sociale s'impose comme une problématique transversale aux effets bouleversants.  

"Il y a de véritables conflits de loyauté. Passer dans 'l'autre camp', celui des 'dominants', c'est s'exposer à un dilemme. D'un côté, on aspire à cette promotion et de l'autre on a l'impression de trahir son milieu", affirme Vincent de Gaulejac. Des injonctions contradictoires parfois difficiles à gérer. "Je suis devenue 'plus royaliste que le roi', voire carrément snob", soupire Lucie. "J'ai déjà été agressive, arrogante avec mes proches tout en m'en voulant de mon attitude." "Au fond, on a honte d'avoir honte. On a un mouvement de rejet et en même temps on culpabilise de le ressentir. C'est un cercle vicieux", éclaire le sociologue.  

La certitude d'être constamment sur la sellette

Entre problème de communication et façonnage complexe d'un nouveau soi, l'équilibre identitaire du transclasse est en effet complexe à trouver. Souvent persuadé d'être considéré par ses pairs comme un arriviste, un Rastignac parvenu, il souffre d'un sentiment d'illégitimité, de profonde imposture. Se sentant incompris, il est en proie à des angoisses irrationnelles. "À chaque erreur dans un dossier, j'ai la peur panique d'être renvoyée. Je suis prête à me ruer à Pôle emploi à tout moment, comme si une sinistre réalité devait me rattraper", se désole Barbara. 

Comme elle, de nombreux transclasses intériorisent une vision négative d'eux-mêmes, avec la certitude d'être constamment sur la sellette. "Pour lutter contre l'impression de ne pas être à sa place, il faut se rappeler que tous les milieux imposent des postures. Chez les grands-bourgeois comme chez les prolétaires, on doit respecter certains codes, se mettre en scène. Il ne faut donc pas se laisser impressionner mais prendre de la distance avec les représentations fantasmées attachées à certains milieux", estime Chantal Jaquet.  

Piocher idées et principes dans les deux milieux

La clé du mieux-être résiderait donc dans l'acceptation de la pluralité des identités. Loin de la vivre comme une contradiction, il s'agit pour les concernés de revendiquer leur double appartenance, en y piochant allègrement idées et principes. "Le transclasse donne à voir la métamorphose à l'oeuvre en chacun de nous. Nous ne sommes pas des êtres figés. Au contraire, nous évoluons en permanence", assure Chantal Jaquet. 

"Attention", alerte malgré tout Vincent de Gaulejac. "La plasticité, la capacité d'adaptation ne doivent pas devenir une transparence, un abandon de la personnalité au profit d'une certaine fadeur, d'un manque de consistance. Il faut revendiquer ce que l'on est!" Le transclasse peut alors jeter des ponts entre ses deux cultures. "J'ai présenté mes amis parisiens à mes parents, à la faveur de vacances dans mon village. Passés les a priori, ils se sont découvert des points communs et des affinités. Résultat, mes amis n'attendent qu'une chose, y retourner", s'amuse Lucie.  

"On ne rompt jamais totalement avec ses racines"

C'est en étant honnête avec lui-même et avec les autres, sans revendiquer ou cacher d'où il vient, que le transclasse peut trouver un véritable apaisement. "Je compte bien élever mes enfants dans cette double culture. Je ne veux pas qu'ils connaissent les mêmes tourments que moi. Il faut qu'il soit à l'aise partout, car ils sont partout chez eux", martèle Karim. À chacun de faire jouer, au mieux, les ressorts de ses différentes vies. La faculté d'adaptation représente le meilleur atout. "Être un caméléon, cela a du bon", sourit Barbara. "L'ouverture d'esprit est une qualité essentielle. Pauvres ou riches, cultivés ou non, nos proches ont tous des choses à nous apporter, à nous apprendre. À nous d'en faire quelque chose, sans jugement de valeur, ni idéologie intempestive." 

"Ceux qui réussissent vraiment leur vie, au delà du succès professionnel, sont ceux qui ont su prendre du recul avec leur milieu d'origine sans rien renier de leur héritage", abonde Chantal Jaquet. "La métamorphose suppose la continuité. On ne rompt jamais totalement avec ses racines", conclut-elle.

  http://www.lexpress.fr

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