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vendredi 23 mai 2014

Boko Haram n’est plus seulement l’affaire du Nigeria

Ecrit par bbela  |  le  vendredi 23 mai 2014 pas de commentaires

par Nicolas Champeaux



La mobilisation pour la libération des Chibok's Girls se poursuit à travers le monde entier. Ici, à Abuja.

Après le sommet de Paris sur la sécurité au Nigeria, le 17 mai, des auditeurs de Bamako, Kingala et Paris veulent savoir, dans Appels sur l’actualité, comment se présente la lutte contre l’insurrection de Boko Haram au nord du Nigeria. Autour du président français François Hollande, ont répondu présents le Nigérian Goodluck Jonathan, le Tchadien Idriss Déby, le Camerounais Paul Biya, le Nigérien Mahamadou Issoufou et le Béninois Boni Yayi. Américains et Britanniques ont également participé.

La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest comme l’Union africaine ont brillé par leur absence après l’enlèvement des lycéennes de Chibok - même si le responsable de la communication, Sonny Ugoh, a dit vouloir intensifier sa collaboration avec le Nigeria, le 12 mai, lors de la première allocution de la Organisation au sujet des jeunes Nigérianes retenues alors depuis trois semaines par Boko Haram. Des quatre pays limitrophes, le Cameroun est sans doute le plus exposé aux incursions terroristes transfrontalières. Outre les enlèvements de ressortissants occidentaux à l'extrême-nord du pays, les forces de sécurité ont essuyé plusieurs attaques sanglantes des islamistes armés. Désormais, les autorités reconnaissent ouvertement l'infiltration de Boko Haram sur leur territoire, évoquant des complicités locales grandissantes…

Les Etats-Unis et la France ont annoncé qu’ils allaient aider le gouvernement du Nigeria dans sa lutte contre Boko Haram. Quel est précisément le type d’aide apportée par l’un et par l’autre ?

La France et les Etats-Unis assistent le Nigeria de façon différente. Les Etats-Unis viennent d’étoffer sensiblement leur dispositif, puisqu’ils ont déployé un contingent de 80 militaires au Tchad à Ndjamena, essentiellement pour des activités de surveillance. Officiellement, une équipe de quarante personnes sera chargée des drones de surveillance qui sont déjà sur place, l’autre équipe sera affectée à la sécurité des appareils et du personnel. Le président américain Barack Obama a informé le congrès de cette opération. Il a précisé que ces hommes resteront « tant que cela sera nécessaire », ce qui confirme une forte implication des Etats-Unis. On savait que les Etats-Unis allaient jouer un rôle important du point de vue interne, tactique et opérationnel. Ils ont depuis des années des actions de formation au niveau de l’armée nigériane. L’équipe américaine qui est dépêchée au Nigeria, a une composante civile mais aussi une composante militaire qui semble étoffée, elle comprend sans doute des forces spéciales. Les vols de surveillance et de reconnaissance visent semble-t-il à localiser les jeunes filles kidnappées, qui, c’est la thèse privilégiée, sont sans doute éparpillées dans plusieurs villages. Les Américains transmettent une sélection de données, d’images et de conversations captées aux autorités nigérianes. Il s’agit bien d’une sélection. Les officiels du département d’Etat américain et du ministère de la Défense sont opposés au transfert de données brutes. Ils craignent que certaines données ne conduisent à des abus de la part de l’armée nigériane. Les Américains sont parfaitement conscient des abus commis par le passé par cette armée, et ils sont réticents à transmettre des données susceptibles de permettre de nouveaux abus, ils l’ont signifié très clairement et publiquement la semaine dernière.  



Les chefs d'État des pays menacés par Boko Haram, au premier rang desquels le Camerounais Paul Biya (G), lors du sommet de l'Elysée, le 17 mai 2014. Reuters/Gonzalo Fuentes

La France agit-elle différemment ?
La plus-value de la France, ce sont ses bonnes relations avec les quatre pays voisins, et en particulier avec les trois concernés par la menace, c'est-à-dire le Niger, le Cameroun et le Tchad. Les relations entre François Hollande et Goodluck Jonathan sont également très bonnes. Hollande a fait part de relations « très étroites » avec son homologue nigérian. Entre eux, c’est « Love at first sight », le coup de foudre, m’a même dit un diplomate. Par conséquent, la France était très bien placée pour convaincre tous les voisins de se réunir à Paris pour un sommet, peu de pays étaient en mesure de le faire. Paris a organisé ce sommet à la demande du Président Jonathan, qui lui est reconnaissant. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l’Union européenne ont appuyé cette initiative. La France devrait aussi jouer un rôle actif au niveau de la coordination et du suivi des mesures qui ont été décidées. Il s’agit pour l’essentiel de mieux partager les renseignements, d’identifier et de couper les sources de financements du groupe Boko Haram, de mettre un terme à son approvisionnement en armes, de mieux surveiller les frontières, et enfin de permettre aux soldats nigérians, camerounais et nigériens, d’agir ensemble sur leurs zones frontalières respectives, par le biais de patrouilles coordonnées. Il est prévu qu’une plate-forme centrale de pilotage soit basée à Ndjamena, où la France dispose de bases militaires. Cela dit, la France, comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, a elle aussi dépêché une équipe d’experts sur place. Une équipe dont on sait peu de choses pour l’heure. Ce qui est sûr c’est qu’il n’y aura pas de déploiements de contingents français, le président François Hollande a été très clair sur ce point.




Depuis l’enlèvement des jeunes filles au Nigeria, la Cédéao et l’Union africaine semblent bien silencieuses, comparé notamment à la réaction de la communauté internationale. Comment expliquer le silence de la Cédéao et de l’UA pendant trois semaines ? Quel est le rôle de ces institutions en termes de sécurité sur le continent africain ?
Deux principes régissent ce type de situation : le respect de la souveraineté, et le principe de subsidiarité. La souveraineté d’abord, qui implique la notion de fierté, celle du Nigeria, poids lourds du continent, pays le plus peuplé d’Afrique, première économie de l’Afrique, et surtout poids lourd de la Cédéao : le siège de l’organisation sous-régionale est à Abuja. Si la Cédéao se mobilise peu, c’est sans doute parce que le Nigeria n’en voit pas l’utilité. Cela n’explique pas le silence de l’Union africaine. On sait néanmoins que la présidente de la Commission de l’UA, Nokossazana Dlamini-Zuma, préfère mettre l’accent sur les programmes de développement de l’UA. N’oublions pas aussi qu’elle est Sud-africaine. Il faut peut-être interpréter ce silence comme une nouvelle illustration de la rivalité entre Pretoria et Abuja. L’UA souhaite que les Africains assurent à terme eux-mêmes la sécurité sur le continent, mais les moyens d’y parvenir divisent. Le président sud-africain Jacob Zuma s’est d’ailleurs emparé de la crise sécuritaire au Nigeria pour tenter de promouvoir de nouveau le projet de la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises, la CARIC, qui repose sur la contribution de pays volontaires. Le Nigeria y semble réticent car le dispositif, à moins qu’il n’ait été modifié, attribue trop de pouvoirs au pays volontaires au détriment de la Commission Paix et Sécurité de l’UA. De toutes les façons, pour revenir au principe de subsidiarité, l’Union africaine intervient dans la mesure où elle a été sollicitée par une organisation sous-régionale. Or, dans la mesure où le Nigeria n’a pas sollicité la Cédéao, cette dernière ne sollicitera pas l’UA. Une autre raison explique sans doute pourquoi le président Goodluck Jonathan préfère frapper à la porte de la France, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, qui n’est pas d’ordre diplomatique, mais plutôt opérationnel. La localisation et la libération des lycéennes implique des opérations très délicates, qui font appel à du matériel de surveillance très sophistiqué, et les Anglais, les Américains, les Français sont mieux équipés que les Africains. Des pays comme la France ont par ailleurs une certaine expertise au niveau des négociations pour obtenir une libération d’otages. Si la négociation devait être privilégiée, l’expertise et les conseils des Occidentaux seront sans doute déterminants.

Une des Chibok’s girl qui était parvenue à s’échapper des griffes de Boko Haram commente la vidéo du groupe rebelle le 15 mai à Maiduguri. Etat de Borno. REUTERS/Stringer

Pour quelles raisons les autorités camerounaises tardent-elles à réagir contre la menace de Boko Haram ? Quel est le degré de coopération entre ces deux pays, notamment autour de la question de la sécurisation des frontières ? Le président camerounais s’est déplacé personnellement à Paris pour assister au sommet organisé à l’Elysée. Il a déclaré « Nous sommes là pour déclarer la guerre à Boko Haram », ce qui traduit une réelle volonté de son pays de s’investir pleinement dans la lutte contre l’insurrection islamiste. Le sommet de Paris a d’ailleurs donné une impulsion à la coopération entre le Cameroun et le Nigeria, puisque les conclusions du sommet prévoient que les deux pays mènent des patrouilles concertées aux frontières. Ce ne sont pas des patrouilles mixtes, mais elles permettront une meilleure coordination. Les Nigérians vont avertir les Camerounais lorsqu’ils prennent en chasse les combattants de Boko Haram, pour permettre aux Camerounais d’être mobilisés et de prendre le relais lorsque les insurgés islamistes traversent la frontière sur les montagnes Mandara. Il est prévu aussi que les deux pays partagent davantage leurs informations. Il ne faut pas nier, cela dit, que la coopération entre le Cameroun et le Nigeria a été limitée jusqu’ici. De source diplomatique, des trois pays voisins du Nigeria concernés par Boko Haram, le Cameroun, le Niger et le Tchad, le Cameroun était celui avec lequel la coopération était la moins poussée, voire quasiment nulle. Abuja, par le passé, a réclamé une plus grande implication. Les deux pays ont tout de même signé un accord pour surveiller leur frontière commune, qui porte sur 1 700 kilomètres. Une première réunion s’est tenue à Yaoundé en novembre 2013, une deuxième est prévue à Abuja, mais dans les faits, semble-t-il, il n’y a rien eu de vraiment saillant. Les choses vont sans doute changer après le sommet de Paris. Ce qui doit ravir Goodluck Jonathan, parce que, de bonnes sources, le Cameroun sert de base arrière à Boko Haram : la province de l’Extrême Nord abrite même des camps d’entrainements, selon le président nigérian, et il est possible aussi que Boko Haram y cache des armes et y mène des activités de recrutement.

Pourquoi le Cameroun a-t-il tardé à s’impliquer ?
On ne peut que spéculer. Il a pu penser que la menace était relativement contenue, et que prendre l’initiative d’offensives risquait d’importer la menace Boko Haram au Cameroun - il craignait peut-être des représailles. Mais la situation a sensiblement évolué. Boko Haram a frappé par deux fois au Cameroun au mois de mai. Il y a eu d’abord l’attaque contre la gendarmerie de Kousséri, le 5 mai, où était retenu un membre important de Boko Haram. Le Cameroun a essuyé un revers. Il y a eu aussi la prise d’otage sur un chantier du nord Cameroun où travaillent une cinquantaine de Chinois pour le compte de l’entreprise Sinohydro. La pression internationale a sans doute joué. L’armée nigériane était de plus en plus frustrée de voir les combattants de Boko Haram traverser la frontière avec le Cameroun sans être inquiétés de l’autre côté. Il y a désormais un consensus. Boko Haram n’est plus seulement l’affaire du Nigeria.

SOURCE : RFI

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