De gauche à droite: Amadou Ahidjo et Paul Biya
Les Gaullistes veulent ramener Ahmadou Ahidjo aux affaires. Les
Socialistes (nouvellement arrivés au pouvoir en hexagone) sont
dubitatifs quant à la conduite à tenir au Cameroun. Paul Biya devient le
roseau d'une relation centenaire. Les vingt-quatre premiers mois de
l'accession de Paul Biya à la magistrature suprême auront certainement
été parmi les plus difficiles de son “ règne ”. A peine installé au
pouvoir, l'homme du 6 novembre 1982 doit faire face à une double
adversité. Primo : celle de son “ illustre prédécesseur ”. Secundo :
celle de la droite française, dont les réseaux prospèrent encore dans le
pré-carré, malgré l'arrivée aux affaires d'un socialiste nommé François
Mitterrand. L'apogée de cette adversité sera sans nul doute le coup
d'Etat manqué du 6 avril 1984.
Depuis la fin des luttes pour l’indépendance,
le Cameroun est perçu à l’extérieur comme un pays relativement stable. Mais on
oublie trop souvent qu’il a connu d’autres heures troubles, notamment dans la
première moitié des années 80. Deux ans après l’arrivée de Paul Biya au
pouvoir, un coup d’Etat militaire fait vaciller le nouveau régime. Le pays
plonge dans une dérive sécuritaire et les rivalités ethniques s’exacerbent
entre le Nord, musulman pour une très grande partie, et le Sud, majoritairement
chrétien. On n’est pas au bord de la sécession, mais les deux parties se
regardent en chiens de faïence pendant les dix années qui suivent la tentative
de coup d’Etat du 6 avril 1984.
Mais que s’est-il réellement
passé? On sait tout et presque rien de cette sombre histoire. On sait
tout, parce qu’une importante production a été livrée sur le sujet, dont le
livre La flamme et la fumée (éd.
Sopécam) du regretté Henri Bandolo, journaliste à l’époque des faits et qui
devint, plus tard, un thuriféraire du régime. On n’en sait presque rien, parce
que, finalement, tout ce qui a été dit sur ce désormais fameux «6-Avril» au
Cameroun, ne s’est appuyé que sur des rumeurs et sur les notes des procès
expéditifs qui ont été menés contre les instigateurs de l’opération.
Les origines du coup d'état manqué
En novembre 1982, le président
Ahmadou Ahidjo, un musulman du Nord du pays, quitte ses fonctions pour
des raisons de santé. Son successeur, Paul Biya, est un sudiste bilingue
et chrétien qui a occupé plusieurs postes importants auprès du président avant de devenir premier ministre en 1975. Successeur constitutionnel, Biya accède à la présidence après la démission d'Ahidjo, le 4 novembre 1982. Le nouveau président manifeste rapidement l'intention de gouverner seul. Pendant un congé en France,
Ahidjo est forcé de quitter la direction de l'Union nationale
camerounaise en septembre 1983. Biya consolide ensuite son pouvoir en
renvoyant son premier ministre et des membres du cabinet proches d'Ahidjo. Candidat unique à la présidentielle de 1984, il fait amender la Constitution pour abolir le poste de premier ministre.
La rivalité entre Ahidjo et Biya s'accentue en février 1984 alors que
ce dernier fait condamner Ahidjo à mort, avant de le gracier.
Le 6 avril
1984, le président
décide de dissoudre sa garde, une unité d'élite de 1500 hommes composée
largement de musulmans du Nord, et d'intégrer ses membres à différentes
unités de l'armée. Puis, Biya renvoie des militaires nordistes hauts
placés. Ce geste provoque le soulèvement de 700 membres de la garde présidentielle.
Le mouvement «J’ose!»
Dans la nuit
du 5 au 6 avril 1984, Yaoundé, la capitale du Cameroun, est brusquement
réveillée par des coups de feu, avec des balles qui viennent se perdre jusque
dans les domiciles de certains habitants. Les télécommunications sont coupées,
et, la radio nationale diffuse en continu de la musique militaire, jusqu’à
ce qu’un message, lu de façon saccadée, annonce la prise de pouvoir par le
mouvement «J’ose!», en raison du «délabrement
du pays et la situation pathétique de la gestion de l’Etat du Cameroun». La
voix qui s’exprime ainsi au petit matin du 6 avril 1984, sur les ondes de Radio-Cameroun à
l’époque, porte en réalité la parole d’un groupe d’officiers factieux de la
Garde républicaine qui ont décidé de renverser le régime. Le couvre-feu est
instauré et les frontières fermées.
L'état d'urgence est proclamé pour six mois à Yaoundé et ses environs. Des supporteurs
d'Ahidjo, qui appuient ce coup, contrôlent une station de radio, un
dépôt de munition et l'aéroport sans résistance. Mais Biya leur échappe
en s'appuyant sur les éléments loyaux de l'armée.
La Résistance s'organise
Seulement, comme l’a décrit Henri
Bandolo dans La flamme et la fumée,
des soldats loyalistes, conduits par le général Pierre Semengué, organisent la
résistance. En une journée, ils retournent la situation et Paul Biya peut
s’exprimer à la nation, le 7 avril au soir, en tant que président de la
République du Cameroun. Le putsch fait pschitt et les mutins prennent la poudre
d’escampette. Mais, la journée est sanglante.
Après trois jours de
durs combats, la révolte est écrasée.
Immédiatement après la tentative de coup d’Etat, les soupçons se portent sur Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun, qui a démissionné deux ans plus tôt et que certains, accusent à ce moment-là, de vouloir revenir aux affaires. On soupçonne les militaires originaires du nord du pays, dont est issu Ahmadou Ahidjo. Dans son discours à la nation, lendemain de la tentative de putsch, Paul Biya, en fin stratège, relativise:
«La responsabilité du coup d’Etat manqué est celle d’une minorité d’ambitieux assoiffés de pouvoir et non celle de telle ou telle province, encore moins celle des Camerounais de telle ou telle religion.»
L’on peut
penser que c’était une façon d'embrasser l’ennemi pour mieux l’étouffer. De fait, une
véritable chasse aux sorcières commence alors dans le pays. De nombreux
officiers de l’armée et des hauts fonctionnaires originaires du Nord sont
interpellés, des procès s’enchaînent et des condamnations à mort pleuvent, des
biens sont confisqués. Entre mai et août 1984, une quarantaine d’officiers sont
exécutés sur la place publique. L’ancien président Ahmadou Ahidjo est condamné
à mort par contumace, ce qui le contraint à partir de Mougins, en France où il
est en vacances, pour s’exiler à Dakar, au Sénégal, où il meurt, quelques
années plus tard.
A part leur message à la radio le 6 avril, on n’a donc vraiment jamais su ce qui a motivé les mutins ni qui était réellement derrière cette tentative de putsch contre Paul Biya. Si le plus célèbre des putschistes, le capitaine Guérandi Mbara, originaire du Nord, continue de vilipender le régime de Biya et d’appeler au soulèvement depuis son exil au Burkina Faso, il n’a jamais dit un mot sur ses éventuels soutiens. Lorsqu’il prend la tête de la mutinerie en 1984, il a 30 ans. C’est un spécialiste de l’artillerie sol-sol, formé à l’école militaire de Yaoundé, avec des célébrités comme… Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Il y a deux ans, le journal camerounais Le Messager dresse un portrait de cet ancien officier en exil, et essaie de lui faire dire un mot sur les «vrais» instigateurs de l’opération. En vain!
Bilan
Le bilan de ce putsch manqué aura été lourd, de sources concordantes. Le gouvernement dit qu'elle a fait 71 morts, mais des observateurs étrangers évaluent plutôt ce nombre à 500. D'autres dissidents seront jugés et exécutés
48 condamnés à mort et exécutés, 64 détenus condamnés à plus de 5 ans,
122 détenus condamnés à 5 ans, 16 détenus condamnés à moins de 5 ans, 38
détenus sans jugement, 25 personnes sont mortes d’inanition sévère, de
sous alimentation conjuguée à défaut total de soins, 3 personnes sont
toujours en fuite et 2 ont vu leur peine commuée en détention
temporelle.
Devoir de mémoire
En tous les cas, pendant, une
petite dizaine d’années, tout au moins, jusqu’à la loi d’amnistie des
putschistes, promulguée en janvier 1991, les ressortissants du nord du Cameroun
vont être vus d’un mauvais œil. Le pouvoir utilisera toutes sortes de méthodes
pour les réprimer et les marginaliser, comme l’explique l’historien et
environnementaliste camerounais Eugène Fonssi, par ailleurs directeur de la
rédaction du magazine Ecovoxx:
«Le régime de Biya a vu en cette tentative de coup d’Etat, la main de l’aristocratie peule, et il en a tiré toutes les conséquences. L’un des effets les plus notables est la montée du tribalisme au Cameroun.»
Eugène Fonssi explique
son propos par la difficulté qu’ont certains d’oublier ou de pardonner. C’est le cas de Dakolé Daissala,
un autre «nordiste», comme on appelle les ressortissants de la région
septentrionale du Cameroun, qui fut fait prisonnier après le 6-Avril:
«Le devoir de mémoire m’oblige à me souvenir de tout pour mieux pardonner à la faiblesse humaine, au nom des considérations supérieures qui devraient interpeller toute conscience éclairée.»
Sont-ce ces «considérations supérieures» qui ont conduit Dakolé
Daissala, comme beaucoup d’autres, à finalement s’acoquiner avec le pouvoir en
place? Il est devenu, un temps, après cette loi d’amnistie de 1991, un ministre
de Biya.
Les rescapés du coup d'Etat
Issa Tchiroma Bakary - Ministre de la Communication du Cameroun
Tchiroma
a été arrêté le 16 Avril 1984. Décrit comme «un élément très
dangereux", il a été emmené à Yaoundé et initialement emprisonné pendant
trois jours dans une petite cellule, de 3m², qui
n'avait ni toilettes, ni lumière, ou la ventilation. D'autres prisonniers ont été retirés de la cellule, parce que Tchiroma a été jugé si dangereux qu'il devait rester seul. Tchiroma a dit que ce était le pire
souvenir de sa vie et qu'il ne souhaite pas cette expérience à son pire
ennemi. [1] Après plus de six ans de prison, il a été libéré en 1990.
Dakole Daïssala (né le 15 Avril, 1943 ) est un camerounais politicien et le Président de la Mouvement pour la Défense de la République (MDR), un parti politique basé dans la Région de l'Extrême Nord
du Cameroun
Daïssala a été arrêté après l'échec Avril 1984. Après avoir passé sept ans de prison sans accusation, il a été libéré en 1991. Il a écrit un livre sur son expérience en prison appelé Libre derrière les barreaux (Free Behind Bars).
Daïssala a été arrêté après l'échec Avril 1984. Après avoir passé sept ans de prison sans accusation, il a été libéré en 1991. Il a écrit un livre sur son expérience en prison appelé Libre derrière les barreaux (Free Behind Bars).
Marcel_Niat_Njifenji
Marcel Niat Njifenji est le premier président du Sénat au Cameroun. Il est ingénieur et fut directeur de société publique, ministre, député, maire, agriculteur et promoteur de festival.
Après la tentative de coup d'état du 6 avril 1984, il est arrêté le 17 avril 1984 et incarcéré à la Prison centrale de Kondengui à Yaoundé. Il demande à ses codétenus de lui lire la Bible. Issa Tchiroma Bakary, qui deviendra plus tard ministre de la république, la lui lira intégralement. Il sera relâché 8 mois plus tard, le 8 décembre 1984, aucune charge n'étant retenue contre lui.
| |||
ll a été condamné à 25 ans de prison ferme pour complicité
intellectuelle. Marafa Hamidou Yaya est considéré comme prisonnier
politique en 2012 et 2013, dans les rapports des pratiques des pays en
matière de droits de l'homme du département d'état des États-Unis |
Amadou Vamoulké : « C’était de la calomnie » - Crédit photo: 237online.com
Quelques jours après le coup d’Etat manqué du 6 avril 1984, Amadou Vamoulké, alors rédacteur en chef du journal Cameroon Tribune, avait été interpellé et appelé à répondre à la direction de la Police judiciaire à Yaoundé. Il était reproché à l’actuel directeur général de la Cameroon radio television (Crtv) d’avoir tenu des réunions secrètes avant le putsch cette année-là. « Quelques heures avant son interpellation, son bureau avait été fouillé par des policiers qui nous ont appris que notre rédacteur en chef était quelqu’un qu’il fallait surveiller de près », confie sous anonymat, un de ses anciens collaborateurs à Cameroon Tribune.
Conclusion
Et c’est bien là, l’une des
grandes forces du chef de l’Etat camerounais. La tentative de putsch qu’il a
essuyée apparaît aussi comme ce qui lui a permis de consolider son pouvoir. Les rivalités entre les
différentes ethnies et la dispersion du paysage politique semblent avoir fait
son jeu. En même temps que les «nordistes» haut placés sont
pourchassés, les populations de cette région bénéficient de nombreuses faveurs.
Bien souvent, au nom de la fameuse politique de «l’équilibre régional» mise en place dès le début des
années 60.
Je te tiens, tu me tiens
Depuis ce coup d’Etat manqué,
l’armée s’est vue plus que jamais être choyée. Avec la crise économique, et
alors que les fonctionnaires camerounais subissaient des baisses de salaires,
le solde des militaires n’a cessé d’augmenter, faisant des salaires des
militaires les plus élevés de la Fonction publique camerounaise.
A titre d’exemple, en 2010, le budget de la Défense, constituait la deuxième plus grosse enveloppe de la loi des Finances. Une conséquence de la promesse que Paul Biya fait aux hommes en tenue en 2009, lors de la sortie des 31e et 32e promotions de l’Ecole militaire inter-armées (Emia), d’améliorer encore davantage les conditions de vie et de travail de l’armée. Une manière, visible mais efficace, de museler la grande muette.
A cela, le général Pierre Semengue qui sauva le régime de Biya en 1984 des mains des mutins, répond dans un livre-entretien, Toute une vie dans les armées, qu’il réalise avec Charles Atéba Eyene, un jeune zélateur du régime en place:
«L’armée est faite pour défendre le pays et non pour prendre le pouvoir, sauf cas exceptionnel, quand rien ne va plus.»
Pour continuer à bénéficier du
soutien de cette même armée, quoi de mieux que lui accorder des faveurs. Avec des
promotions à tout-va. Le pays compte aujourd’hui pas moins de 25 généraux. Un
record depuis 1973. Et Michel-Roger Emvana, biographe de Paul Biya, et qui a
bien connu les événements de 1984, de conclure:
«Le fait de ménager les hommes en tenue lui permet de maintenir une certaine stabilité pour son régime et dans le pays.»
Merci à Raoul MBOG pour son précieux apport.
Références: http://www.slateafrique.com/85111/cameroun-retour-sur-le-putsch-manque-du-6-avril-1984
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=958
http://en.wikipedia.org/wiki/Dakolé_Daïssala
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Niat_Njifenji
http://stephanejo.skyrock.com/3000465981-Le-coup-d-Etat-du-6-Avril-1984-au-CAMEROUN-ce-qui-s-est-passe.html
http://www.cameroon-info.net/stories/0,28632,@,pression-les-cadavres-du-6-avril-1984-sortent-des-placards.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marafa_Hamidou_Yaya
http://www.nkul-beti-camer.com/ekang-media-press.php?cmd=article&Item=345&TAB=0&SUB=0
1. Xavier Messè, "Issa Tchiroma Bakary : Je n'ai pas de rancune" , Mutations, 6 April 2009 (French).
0 commentaires: