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lundi 6 avril 2015

Enquête - Cameroun: le jour où Paul Biya a failli être renversé

Ecrit par bbela  |  le  lundi 6 avril 2015 pas de commentaires

De gauche à droite: Amadou Ahidjo et Paul Biya

Les Gaullistes veulent ramener Ahmadou Ahidjo aux affaires. Les Socialistes (nouvellement arrivés au pouvoir en hexagone) sont dubitatifs quant à la conduite à tenir au Cameroun. Paul Biya devient le roseau d'une relation centenaire. Les vingt-quatre premiers mois de l'accession de Paul Biya à la magistrature suprême auront certainement été parmi les plus difficiles de son “ règne ”. A peine installé au pouvoir, l'homme du 6 novembre 1982 doit faire face à une double adversité. Primo : celle de son “ illustre prédécesseur ”. Secundo : celle de la droite française, dont les réseaux prospèrent encore dans le pré-carré, malgré l'arrivée aux affaires d'un socialiste nommé François Mitterrand. L'apogée de cette adversité sera sans nul doute le coup d'Etat manqué du 6 avril 1984.

Depuis la fin des luttes pour l’indépendance, le Cameroun est perçu à l’extérieur comme un pays relativement stable. Mais on oublie trop souvent qu’il a connu d’autres heures troubles, notamment dans la première moitié des années 80. Deux ans après l’arrivée de Paul Biya au pouvoir, un coup d’Etat militaire fait vaciller le nouveau régime. Le pays plonge dans une dérive sécuritaire et les rivalités ethniques s’exacerbent entre le Nord, musulman pour une très grande partie, et le Sud, majoritairement chrétien. On n’est pas au bord de la sécession, mais les deux parties se regardent en chiens de faïence pendant les dix années qui suivent la tentative de coup d’Etat du 6 avril 1984.

Mais que s’est-il réellement passé? On sait tout et presque rien de cette sombre histoire. On sait tout, parce qu’une importante production a été livrée sur le sujet, dont le livre La flamme et la fumée (éd. Sopécam) du regretté Henri Bandolo, journaliste à l’époque des faits et qui devint, plus tard, un thuriféraire du régime. On n’en sait presque rien, parce que, finalement, tout ce qui a été dit sur ce désormais fameux «6-Avril» au Cameroun, ne s’est appuyé que sur des rumeurs et sur les notes des procès expéditifs qui ont été menés contre les instigateurs de l’opération.

Les origines du coup d'état manqué
En novembre 1982, le président Ahmadou Ahidjo, un musulman du Nord du pays, quitte ses fonctions pour des raisons de santé. Son successeur, Paul Biya, est un sudiste bilingue et chrétien qui a occupé plusieurs postes importants auprès du président avant de devenir premier ministre en 1975. Successeur constitutionnel, Biya accède à la présidence après la démission d'Ahidjo, le 4 novembre 1982. Le nouveau président manifeste rapidement l'intention de gouverner seul. Pendant un congé en France, Ahidjo est forcé de quitter la direction de l'Union nationale camerounaise en septembre 1983. Biya consolide ensuite son pouvoir en renvoyant son premier ministre et des membres du cabinet proches d'Ahidjo. Candidat unique à la présidentielle de 1984, il fait amender la Constitution pour abolir le poste de premier ministre. La rivalité entre Ahidjo et Biya s'accentue en février 1984 alors que ce dernier fait condamner Ahidjo à mort, avant de le gracier.

Le 6 avril 1984, le président décide de dissoudre sa garde, une unité d'élite de 1500 hommes composée largement de musulmans du Nord, et d'intégrer ses membres à différentes unités de l'armée. Puis, Biya renvoie des militaires nordistes hauts placés. Ce geste provoque le soulèvement de 700 membres de la garde présidentielle. 

Le mouvement «J’ose!»
Dans la nuit du 5 au 6 avril 1984, Yaoundé, la capitale du Cameroun, est brusquement réveillée par des coups de feu, avec des balles qui viennent se perdre jusque dans les domiciles de certains habitants. Les télécommunications sont coupées, et, la radio nationale diffuse en continu de la musique militaire, jusqu’à ce qu’un message, lu de façon saccadée, annonce la prise de pouvoir par le mouvement «J’ose!», en raison du «délabrement du pays et la situation pathétique de la gestion de l’Etat du Cameroun». La voix qui s’exprime ainsi au petit matin du 6 avril 1984, sur les ondes de Radio-Cameroun à l’époque, porte en réalité la parole d’un groupe d’officiers factieux de la Garde républicaine qui ont décidé de renverser le régime. Le couvre-feu est instauré et les frontières fermées.

L'état d'urgence  est proclamé pour six mois à Yaoundé et ses environs. Des supporteurs d'Ahidjo, qui appuient ce coup, contrôlent une station de radio, un dépôt de munition et l'aéroport sans résistance. Mais Biya leur échappe en s'appuyant sur les éléments loyaux de l'armée. 


La Résistance s'organise
Seulement, comme l’a décrit Henri Bandolo dans La flamme et la fumée, des soldats loyalistes, conduits par le général Pierre Semengué, organisent la résistance. En une journée, ils retournent la situation et Paul Biya peut s’exprimer à la nation, le 7 avril au soir, en tant que président de la République du Cameroun. Le putsch fait pschitt et les mutins prennent la poudre d’escampette. Mais, la journée est sanglante. Après trois jours de durs combats, la révolte est écrasée.

Immédiatement après la tentative de coup d’Etat, les soupçons se portent sur Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun, qui a démissionné deux ans plus tôt et que certains, accusent à ce moment-là, de vouloir revenir aux affaires. On soupçonne les militaires originaires du nord du pays, dont est issu Ahmadou Ahidjo. Dans son discours à la nation, lendemain de la tentative de putsch, Paul Biya, en fin stratège, relativise:
«La responsabilité du coup d’Etat manqué est celle d’une minorité d’ambitieux assoiffés de pouvoir et non celle de telle ou telle province, encore moins celle des Camerounais de telle ou telle religion.»
 L’on peut penser que c’était une façon d'embrasser l’ennemi pour mieux l’étouffer. De fait, une véritable chasse aux sorcières commence alors dans le pays. De nombreux officiers de l’armée et des hauts fonctionnaires originaires du Nord sont interpellés, des procès s’enchaînent et des condamnations à mort pleuvent, des biens sont confisqués. Entre mai et août 1984, une quarantaine d’officiers sont exécutés sur la place publique. L’ancien président Ahmadou Ahidjo est condamné à mort par contumace, ce qui le contraint à partir de Mougins, en France où il est en vacances, pour s’exiler à Dakar, au Sénégal, où il meurt, quelques années plus tard.

A part leur message à la radio le 6 avril, on n’a donc vraiment jamais su ce qui a motivé les mutins ni qui était réellement derrière cette tentative de putsch contre Paul Biya. Si le plus célèbre des putschistes, le capitaine Guérandi Mbara, originaire du Nord, continue de vilipender le régime de Biya et d’appeler au soulèvement depuis son exil au Burkina Faso, il n’a jamais dit un mot sur ses éventuels soutiens. Lorsqu’il prend la tête de la mutinerie en 1984, il a 30 ans. C’est un spécialiste de l’artillerie sol-sol, formé à l’école militaire de Yaoundé, avec des célébrités comme… Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Il y a deux ans, le journal camerounais Le Messager dresse un portrait de cet ancien officier en exil, et essaie de lui faire dire un mot sur les «vrais» instigateurs de l’opération. En vain!

Bilan
Le bilan de ce putsch manqué aura été lourd, de sources concordantes. Le gouvernement dit qu'elle a fait 71 morts, mais des observateurs étrangers évaluent plutôt ce nombre à 500. D'autres dissidents seront jugés et exécutés 48 condamnés à mort et exécutés, 64 détenus condamnés à plus de 5 ans, 122 détenus condamnés à 5 ans, 16 détenus condamnés à moins de 5 ans, 38 détenus sans jugement, 25 personnes sont mortes d’inanition sévère, de sous alimentation conjuguée à défaut total de soins, 3 personnes sont toujours en fuite et 2 ont vu leur peine commuée en détention temporelle.

Devoir de mémoire

En tous les cas, pendant, une petite dizaine d’années, tout au moins, jusqu’à la loi d’amnistie des putschistes, promulguée en janvier 1991, les ressortissants du nord du Cameroun vont être vus d’un mauvais œil. Le pouvoir utilisera toutes sortes de méthodes pour les réprimer et les marginaliser, comme l’explique l’historien et environnementaliste camerounais Eugène Fonssi, par ailleurs directeur de la rédaction du magazine Ecovoxx:
«Le régime de Biya a vu en cette tentative de coup d’Etat, la main de l’aristocratie peule, et il en a tiré toutes les conséquences. L’un des effets les plus notables est la montée du tribalisme au Cameroun.»
 Eugène Fonssi explique son propos par la difficulté qu’ont certains d’oublier ou de pardonner. C’est le cas de Dakolé Daissala, un autre «nordiste», comme on appelle les ressortissants de la région septentrionale du Cameroun, qui fut fait prisonnier après le 6-Avril: 
«Le devoir de mémoire m’oblige à me souvenir de tout pour mieux pardonner à la faiblesse humaine, au nom des considérations supérieures qui devraient interpeller toute conscience éclairée.»
Sont-ce ces «considérations supérieures» qui ont conduit Dakolé Daissala, comme beaucoup d’autres, à finalement s’acoquiner avec le pouvoir en place? Il est devenu, un temps, après cette loi d’amnistie de 1991, un ministre de Biya.

Les rescapés du coup d'Etat
Issa Tchiroma Bakary - Ministre de la Communication du Cameroun

Tchiroma a été arrêté le 16 Avril 1984. Décrit comme «un élément très dangereux", il a été emmené à Yaoundé et initialement emprisonné pendant trois jours dans une petite cellule, de 3m², qui n'avait ni toilettes, ni lumière, ou la ventilation.  D'autres prisonniers ont été retirés de la cellule, parce que Tchiroma a été jugé si dangereux qu'il devait rester seul. Tchiroma a dit que ce était le pire souvenir de sa vie et qu'il ne souhaite pas cette expérience à son pire ennemi. [1] Après plus de six ans de prison, il a été libéré en 1990



Dakole Daïssala (né le 15 Avril, 1943 ) est un camerounais politicien et le Président de la Mouvement pour la Défense de la République (MDR), un parti politique basé dans la  Région de l'Extrême Nord  du Cameroun
Daïssala a été arrêté après l'échec Avril 1984. Après avoir passé sept ans de prison sans accusation, il a été libéré en 1991. Il a écrit un livre sur son expérience en prison appelé Libre derrière les barreaux (Free Behind Bars).

Marcel_Niat_Njifenji 

Marcel Niat Njifenji est le premier président du Sénat au Cameroun. Il est ingénieur et fut directeur de société publique, ministre, député, maire, agriculteur et promoteur de festival.

Après la tentative de coup d'état du 6 avril 1984, il est arrêté le 17 avril 1984 et incarcéré à la Prison centrale de Kondengui à Yaoundé. Il demande à ses codétenus de lui lire la Bible. Issa Tchiroma Bakary, qui deviendra plus tard ministre de la république, la lui lira intégralement. Il sera relâché 8 mois plus tard, le 8 décembre 1984, aucune charge n'étant retenue contre lui.

Marafa Hamidou Yaya : Sauvé par son épouse
Au lendemain du putsch manqué du 6 avril 1984, Marafa Hamidou Yaya est arrêté et embarqué dans un camion contenant des mutins et leurs complices, en partance pour Mbalmayo pour des exécutions sommaires. Il a la vie sauve cette nuit-là grâce à son épouse. C’est à la suite des suppliques de celle-ci qu’il sera extrait du camion. C’est feu Gilbert Andzé Tsoungi, alors ministre des Forces armées, sensible aux suppliques de la jeune dame, qui prend la décision de faire descendre du camion Marafa Hamidou Yaya.
 ll a été condamné à 25 ans de prison ferme pour complicité intellectuelle. Marafa Hamidou Yaya est considéré comme prisonnier politique en 2012 et 2013, dans les rapports des pratiques des pays en matière de droits de l'homme du département d'état des États-Unis 


Amadou Vamoulké : « C’était de la calomnie » - Crédit photo: 237online.com 

Quelques jours après le coup d’Etat manqué du 6 avril 1984, Amadou Vamoulké, alors rédacteur en chef du journal Cameroon Tribune, avait été interpellé et appelé à répondre à la direction de la Police judiciaire à Yaoundé. Il était reproché à l’actuel directeur général de la Cameroon radio television (Crtv) d’avoir tenu des réunions secrètes avant le putsch cette année-là. « Quelques heures avant son interpellation, son bureau avait été fouillé par des policiers qui nous ont appris que notre rédacteur en chef était quelqu’un qu’il fallait surveiller de près », confie sous anonymat, un de ses anciens collaborateurs à Cameroon Tribune.

Conclusion

Et c’est bien là, l’une des grandes forces du chef de l’Etat camerounais. La tentative de putsch qu’il a essuyée apparaît aussi comme ce qui lui a permis de consolider son pouvoir. Les rivalités entre les différentes ethnies et la dispersion du paysage politique semblent avoir fait son jeu. En même temps que les «nordistes» haut placés sont pourchassés, les populations de cette région bénéficient de nombreuses faveurs. Bien souvent, au nom de la fameuse politique de «l’équilibre régional» mise en place dès le début des années 60.

Je te tiens, tu me tiens

Depuis ce coup d’Etat manqué, l’armée s’est vue plus que jamais être choyée. Avec la crise économique, et alors que les fonctionnaires camerounais subissaient des baisses de salaires, le solde des militaires n’a cessé d’augmenter, faisant des salaires des militaires les plus élevés de la Fonction publique camerounaise.

A titre d’exemple, en 2010, le budget de la Défense, constituait la deuxième plus grosse enveloppe de la loi des Finances. Une conséquence de la promesse que Paul Biya fait aux hommes en tenue en 2009, lors de la sortie des 31e et 32e promotions de l’Ecole militaire inter-armées (Emia), d’améliorer encore davantage les conditions de vie et de travail de l’armée. Une manière, visible mais efficace, de museler la grande muette.

A cela, le général Pierre Semengue qui sauva le régime de Biya en 1984 des mains des mutins, répond dans un livre-entretien, Toute une vie dans les armées, qu’il réalise avec Charles Atéba Eyene, un jeune zélateur du régime en place:
«L’armée est faite pour défendre le pays et non pour prendre le pouvoir, sauf cas exceptionnel, quand rien ne va plus.»
Pour continuer à bénéficier du soutien de cette même armée, quoi de mieux que lui accorder des faveurs. Avec des promotions à tout-va. Le pays compte aujourd’hui pas moins de 25 généraux. Un record depuis 1973. Et Michel-Roger Emvana, biographe de Paul Biya, et qui a bien connu les événements de 1984, de conclure:
«Le fait de ménager les hommes en tenue lui permet de maintenir une certaine stabilité pour son régime et dans le pays.»
Merci à Raoul MBOG pour son précieux apport.

Références: http://www.slateafrique.com/85111/cameroun-retour-sur-le-putsch-manque-du-6-avril-1984
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=958
http://en.wikipedia.org/wiki/Dakolé_Daïssala
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Niat_Njifenji
http://stephanejo.skyrock.com/3000465981-Le-coup-d-Etat-du-6-Avril-1984-au-CAMEROUN-ce-qui-s-est-passe.html
http://www.cameroon-info.net/stories/0,28632,@,pression-les-cadavres-du-6-avril-1984-sortent-des-placards.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marafa_Hamidou_Yaya
http://www.nkul-beti-camer.com/ekang-media-press.php?cmd=article&Item=345&TAB=0&SUB=0

1. Xavier Messè, "Issa Tchiroma Bakary : Je n'ai pas de rancune" , Mutations, 6 April 2009 (French).

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