Le centre de détention de Holot abrite plus de 2 000 migrants africains ; pour eux, c’est une tache sur la démocratie du pays
La vue sur la route de Tel Aviv au centre de
détention ouvert à Holot se transforme très rapidement en étendues de
sable. Des vallées beige et or, parsemées de chaume noire et d’acacias,
se déroulent de chaque côté de la route 211, qui serpente le sud-ouest
de Beer Sheva et coupe vers la frontière d’Israël avec le désert du
Sinaï.
En bout de route, au milieu de nulle part, Mutasim Ali attend ses amis.
Ali, 28 ans, est l’une des figures les plus
célèbres de Holot, la « prison ouverte » construite en 2011 comme une
solution alternative à Saharonim, où des milliers de demandeurs d’asile
africains étaient détenus après avoir franchi illégalement en Israël à
pied. Ali lui-même a séjourné à Saharonim pendant un mois en 2010, après
avoir fui son domicile du Darfour, dans un Soudan déchiré par la
guerre, pour gagner Israël.
Et comme bon nombre des 2 200 hommes soudanais
et érythréens qui vivent aujourd’hui à Holot, Ali a été rapidement
libéré de Saharonim, muni d’un ticket de bus pour le sud de Tel Aviv, et
livré à lui-même pour entamer une vie en Israël.
Mutasim
Ali près d’un mur à Holot où les détenus ont écrit en anglais
“ONU,
nous avons besoin de liberté” (Crédit : Debra Kamin/Times of Israel)
Car pendant plusieurs années, où le Soudan et
l’Erythrée s’étranglaient dans leur propre sang et les migrants
africains fuyaient à pied de la Corne de l’Afrique et de la vallée du
Nil vers Israël, c’était là la politique officieuse du gouvernement :
laisser les migrants entrer, les détenir brièvement, et puis les faire
monter à bord d’un bus cap sur Tel Aviv ou Beer Sheva, munis d’un visa
temporaire à renouveler 4 fois par un an, leur interdisant de travailler
ou de fréquenter l’école. Dans le sud de Tel Aviv, Ali a appris l’hébreu et a amélioré son anglais déjà impressionnant.
Il a commencé à travailler pour le Centre de
développement des réfugiés africains, une organisation à but non
lucratif, qui aide les réfugiés africains en Israël, et a été promu au
poste de directeur.
En 2013, cependant, Israël a commencé à
détenir de nouveau nombre de ses milliers de migrants africains, citant
une nouvelle loi anti-infiltration, qui a subi quatre amendements
supplémentaires ces deux dernières années.
L’un après l’autre, ces migrants qui s’étaient
installés en Israël se rendaient au ministère de l’Intérieur pour
renouveler leurs permis de résidence de trois mois, et se retrouvaient
avec une citation à comparaître à Holot. Ali a reçu sa convocation il y a
huit mois, et vit maintenant ici, au milieu des buissons épineux, et
des tas de déchets flottants qui entachent le désert.
Holot est une installation « ouverte », ce qui
signifie ses habitants sont libres de partir après six heures chaque
jour, mais doivent revenir et signer leur retour avant 22 heures chaque
soir.
Mais pour les centaines de résidents – tous
des hommes africains âgés de plus de 18 ans, la grande majorité dont les
demandes d’asile ont été ignorées par le gouvernement israélien – ces
portes ouvertes ne sont qu’un faux-fuyant.
Elliot
Glassenberg, à gauche, avec les réfugiés et les activistes à l’entrée
de Holot,
le samedi 17 janvier 2015 (Crédit: Debra Kamin/Times of
Israel)
Ils sont tellement éloignés de tout, disent-ils, qu’ils ne peuvent jamais vraiment partir et revenir à temps pour le couvre-feu.
Il n’y a pas de soins médicaux ici,
disent-ils. Pas d’éducation. Ils ne peuvent apporter des produits de
l’extérieur, et la nourriture, disent-ils, est à la fois rare et
immangeable. Beaucoup d’hommes se plaignent d’intoxication alimentaire.
Et en ces nuits d’hiver, ajoutent-ils, la
température s’approche du gel. (Après une série de rapports selon
lesquels les radiateurs privés des résidents avaient été confisqués, le
gouvernement israélien a décidé que toutes les pièces de Holot seraient
équipées d’un chauffage / climatisation dans les sept prochains jours).
Ali reconnaît que la nourriture est souvent
non comestible, que la promesse d’une éducation et d’enseignants n’a
jamais été tenue, et que le seul médecin ne suffit pas pour traiter les
cas médicaux de 2 200 hommes migrants. Mais il n’est pas surpris de tout
cela, dit-il.
« Il y a une raison pour laquelle ils nous
font tout cela », dit-il. « Ils veulent nous compliquer la vie [en
Israël], pour que les gens veuillent retourner [en Afrique]. »
Zacki Mohammed Abdullah, 26 ans, décrit ses conditions de vie à Holot (Crédit: Debra Kamin/Times of Israel)
Environ 47 000 migrants africains vivent en
Israël, dont la grande majorité d’entre eux se disent demandeurs
d’asile. Plus de 90 % viennent d’Erythrée, du Soudan et du Congo. Israël
a accepté moins de 1 % des demandes d’asile, et depuis 2009, moins de
0,15 % – le taux le plus bas du monde occidental.
Le droit international préconise une politique
de non-refoulement, qui interdit l’expulsion de personnes ayant fui la
guerre ou le génocide vers le pays d’où elles sont venues.
Ali et ses compagnons, ainsi que des bus
entiers de bénévoles et de militants qui leur ont rendu visite samedi,
croient qu’Israël essaie plutôt de rendre la vie des migrants si
misérable qu’ils désireront rentrer chez eux de leur propre chef.
Selon ces détracteurs, la criminalité et le
vandalisme ont explosé dans le sud de Tel Aviv qui se peuplait peu à peu
de migrants.
La grande majorité des Africains demandant
l’asile sont des hommes entre 18 et 35 ans – le profil exact des
migrants économiques, et non politiques. L’affluence des Africains vers
Israël serait une migration mixte, ce qui signifie qu’elle découle de
motifs économiques mais également de la nécessité de fuir l’oppression
politique.
Pour les militants qui travaillent dans sud de
Tel Aviv et effectuent des visites régulières à Holot, toutefois, cette
situation n’est pas justifiée. Rien, disent-ils, ne justifie de parquer
plusieurs milliers d’hommes dans un pénitencier sans procès ou
accusation.
« Holot ne devrait pas exister. Holot doit
être fermé. Les gens ne devraient pas être placés en détention sans
procès, dans un pays démocratique, ou dans ne importe quel pays »,
scande Elliott Glassenberg, l’un des activistes qui a organisé
l’événement de solidarité samedi dernier.
« Des gens qui ont subi des traumatismes, qui
sont venus dans ce pays et ont demandé l’asile, ne devraient pas, d’un
point de vue moral ou juridique, être incarcérés. »
Lorsque nous arrivons à Holot, vers midi, le
temps est ensoleillé mais frais. Les migrants qui nous accueillent sont
en manteaux et chapeaux, et plusieurs ont enroulé leurs écharpes autour
de leurs visages.
Trois heures plus tard, cependant, avec
plusieurs heures de lumière encore devant nous, le vent se refroidit
brusquement. Il ne fait aucun doute que les nuits hivernales dans ce
lieu sont rudes.
Presque tous les migrants racontent la même
histoire – la mort et le génocide consument leurs patries, ils ont le
choix entre y rester et mourir ou s’enfuir et de risquer leur vie, dans
un voyage d’innombrables kilomètres à pied.
La plupart sont arrivés en Egypte et ont vite
compris que le gouvernement de ce pays, allié avec le Soudan, ne les
accueillerait jamais. Alors, ils ont continué à marcher, et trois jours
plus tard, sont arrivés à la frontière avec Israël, où l’armée les a
accueillis et leur a promis la sécurité.
« Nous avons choisi de tracer vers Israël
parce qu’Israël est un pays démocratique. Nous avons pensé : ‘ils nous
protégeront et nous donneront des droits’ « , raconte Zacki Mohammed
Abdullah, un costaud de 26 ans.
Pour Glassenberg, Israël devrait, comme l’Etat
juif, être le leader mondial de l’accueil des demandeurs d’asile à ses
frontières.
Deux détenus de Holot, Adil and Tashome, racontant leur histoire (Crédit : Debra Kamin/Times of Israel)
« Tu aimeras l’étranger, parce que vous avez
été étrangers dans le pays d’Egypte, » dit-il, citant un passage de
l’Exode. « Pour moi, c’est l’essence de ce que signifie être Juif.
Savoir ce que c’est que d’être opprimé et lutter contre la
marginalisation et l’oppression n’importe où ».
En 2014, la Cour suprême a statué que le camp de Holot violait les lois fondamentales des droits de l’Homme et serait fermé jusqu’au 26 décembre.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministère de l’Intérieur ont ensuite introduit la loi
anti-infiltration, annulant la décision de fermeture de Holot, en
faisant passer un amendement qui permet aux immigrants illégaux d’être
détenus pendant 20 mois sans procès.
Holot, pour le moment, reste ouvert.
« Nous ne sommes pas l’ennemi. Nous ouvrons
nos cœurs au peuple israélien. Nous voulons améliorer nos vies et nos
êtres », dit Abdullah.
« Personne ne veut être un réfugié, mais cette vie nous a choisis. »
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