Dans le sillage de l’engouement pour le bio, la médecine classique n’a plus la cote. En Suisse aussi, une fraction croissante de la population se tourne vers les médecines alternatives et les remèdes d’antan. Des anti-vaccins aux anti-antibiotiques, inventaire d’un mouvement qui grandit
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les antibiotiques nous ont fait gagner 20 ans d’espérance de vie supplémentaires. Mieux, l’hygiène et les progrès médicaux au cours des 150 dernières années ont doublé l’espérance de vie, qui est de 82,8 ans. Dans un article intitulé «Pourquoi vous êtes encore en vie?», le magazine online Slate rappelle qu’autrefois, «les gens mouraient jeunes et dans la douleur à cause de la phtisie (tuberculose), d’une amygdalite purulente (angine), de la fièvre, lors de l’accouchement...»
Peine perdue: la méfiance à l’égard de la médecine moderne s’emballe. Première cible, les vaccins, qui ont de moins en moins la cote. Selon le dernier rapport annuel de l’Observatoire français du médicament, daté du 24 octobre, seule 69% de la population leur fait encore confiance en France, et 48% pense que la vaccination présente plus de dangers que de bénéfices.
Une suspicion qui n’est pas seulement française. Le professeur Dominique Belli, médecin chef du service pédiatrie aux HUG la constate aussi en consultation: «Environ 10% de parents rechignent à faire vacciner leurs enfants, et ce taux augmente. Lorsqu’on pense que l’on meurt par millions de la rougeole et la poliomyélite en Afrique et que le cancer de l’utérus peut être diminué par un vaccin... C’est le plus grand scandale qui soit», déplore-t-il.
Hélas, peu d’arguments atteignent les «antis» qui, sur les centaines de blogs et forums dédiés, rappellent les grands scandales des laboratoires pharmaceutiques, et prétendent que les vaccins, «bourrés d’adjuvants toxiques», seraient même responsables de l’autisme.... Même la star Jim Carrey proclame sur son compte Twitter (14 millions d’abonnés) que les vaccins «empoisonnent les enfants».
I am not anti-vaccine. I am anti-thimerosal, anti-mercury. They have taken some of the mercury laden thimerosal out of vaccines. NOT ALL!
— Jim Carrey (@JimCarrey) 1 juillet 2015
Smoothies de piment
«Internet fait beaucoup de mal aux vaccins, se désole Philippe Duclos, épidémiologiste à l’OMS. Et pourtant, la balance risques-bénéfices est constamment réévaluée. Le problème est que nous sommes victimes du succès de la vaccination. Comme on ne voit plus d’enfants mourir du tétanos ou de la rougeole, on perd la notion du risque. L’autre cause du doute est que les vaccins sont administrés aux personnes en bonne santé, qui se demandent alors si c’est nécessaire. Mais si l’on arrêtait de vacciner, les épidémies reviendraient au galop.»
Une menace trop lointaine pour certains, telle cette mère qui demande, sur le forum «bebe.ch»: «Enceinte de mon premier enfant, je cherche un pédiatre à Fribourg qui ne donne pas trop facilement des médicaments et surtout qui soit sceptique envers la vaccination...» Ce à quoi un autre lui répond, qui se croit bien informé: «Selon ma pédiatre, depuis que les vaccins sont arrivés sur le marché, que certaines maladies ont été éradiquées, le SIDA a débarqué.»
Une troisième leur reproche de s’appuyer sur les vaccinés pour rester en bonne santé? Elle se fait violemment rabrouer sur le thème «chacun son choix»... Choix qui peut pourtant finir en fait divers, comme cet été, au Canada, où des «antivaxxers» ont été condamnés pour avoir tué leur fils de 18 mois en soignant sa méningite à coups de smoothies de piment et teinture d’échinacée prescrits par un naturopathe. Les parents ont écopé de plusieurs mois de prison, et l’obligation d’amener leurs trois enfants toujours vivants chez un vrai médecin en cas de nécessité. En suivant chaque ordonnance à la lettre. Ils ont fait appel…
La gousse à tout faire
Ce mouvement «anti» inquiète d’autant plus que les vaccins permettent d’éviter l’usage intensif des antibiotiques, à l’heure où l’antibiorésistance devient alarmante. Selon certaines prévisions, les germes résistants à tout traitement pourraient tuer davantage que le cancer en 2050. Un prophétie sur laquelle se ruent évidemment les grands sceptiques de l’ordonnance... mais pas toujours avec clairvoyance: «Les patients ont tendance à raccourcir les traitements: quand on leur prescrit 10 jours, ils arrêtent après 5 jours, dès qu’ils se sentent mieux. C’est un problème puisque cela favorise le développement de souches résistantes, constate Dominique Belli. Mais globalement, les gens se méfient de plus en plus des effets secondaires affichés sur les notices. Certes, on peut mourir de l’aspirine. Mais il s’agit souvent d’une seule complication sur des milliards de prescriptions, indiquée par souci de transparence.»
Tant pis. La phobie des effets secondaires grossit. «Je suis obsédée par l’indication œdème de Quincke, avoue Céline. Et puis quand on voit Bayer racheter Monsanto, il y a de quoi douter... Du coup, j’ai arrêté la chimie. Je soigne même mes bronchites aux huiles essentielles et gousses d’ail: un excellent antibiotique naturel.» Lequel figure au panthéon de toutes ces recettes de grands-mères qui font leur retour triomphant dans l’édition et sur le web, avec leur cortège de bicarbonate de soude, vinaigre, citron et huile de foie de morue... Des bonnes vieilles potions qui rassurent et viennent titiller la nostalgie du «C’était mieux avant»: un monde sans OGM, monoxyde de carbone, élevage intensif, plastique, ondes wifi...
Principes trop actifs
«Il existe de nombreuses approches et je n’ai rien contre les médecines alternatives, du moment qu’elles ne se transforment pas en intégrisme, analyse Philippe Duclos. Les plantes ont d’ailleurs des principes actifs puissants qui servent à la fabrication de [la médecine classique]. Mais personnellement, si j’ai une maladie infectieuse ou la gangrène, je me précipiterai plutôt sur les antibiotiques...»
D’autant que les remèdes «doux» ne sont pas exempts de danger. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration vient d’émettre une alerte sur un produit homéopathique dédié aux poussées dentaires du bébé, qui serait responsable de la mort de 10 enfants. «Les gens ont moins peur des produits vendus dans les pharmacies alternatives, et pourtant, il faut se méfier, prévient Dominique Belli. Soit le produit a des principes actifs qui présentent des risques en cas d’automédication, soit il fonctionne sur l’effet placebo, tout en laissant croire qu’on peut se passer d’un vrai traitement efficace. Mais à ce jour, on ne guérit pas une leucémie avec de l’homéopathie.»
https://www.letemps.ch/societe/2017/01/03/mefiance-saggrave-envers-vaccins-antibiotiques
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