Avant-propos et définition
Avant de commencer il est nécessaire de préciser deux points importants.
Premièrement, il faut rappeler que chaque religion et chaque confession religieuse a une structure propre et un rapport différent à l’individu.
Dans le catholicisme par exemple, l’Eglise émet un Magistère qui dit au fidèle ce qu’il doit croire et ce qu’il doit faire. Dans le protestantisme, au contraire, ce sont les principes du libre-examen et du sola scriptura (« l’Ecriture seule ») qui dominent. Par conséquent, chaque protestant fixe ses croyances et sa conduite en fonction de sa propre compréhension de la Bible.
On retrouve aussi des différences de ce type au sein de l’islam entre sunnisme et chiisme.
Deuxièmement, il faut aussi rappeler qu’on ne peut pas réduire un individu à sa simple confession religieuse, car tous les croyants n’ont pas le même rapport à la religion.
Ainsi des catholiques peuvent très bien se sentir catholiques, se revendiquer catholiques et avoir une pratique religieuse régulière sans pour autant suivre scrupuleusement tout ce qu’enseigne le magistère (notamment en matière de morale sexuelle).
Par ailleurs, au sein de chaque confession, il existe des courants conservateurs/orthodoxes qui suivront scrupuleusement les règles fixées et des courants plus libéraux qui, comme leur nom l’indique, auront tendance à prendre plus de liberté vis-à-vis des différentes règles.
Enfin, avant d’entrer dans le sujet, on doit aussi définir clairement le terme-clef. La masturbation désigne la stimulation des organes génitaux ou d’autres parties érogènes du corps par les mains (directement ou par le biais d’objets intermédiaires).
Elle peut donc être envers soi-même (masturbation solitaire) ou envers quelqu’un d’autre (masturbation altruiste).
Catholicisme
Depuis l’Antiquité, l’Eglise a associé, voire même réduit, la sexualité à la procréation. Le discours a considérablement évolué avec Jean-Paul II qui a plus fortement insisté sur le plaisir sexuel.
Toutefois, la sexualité n’est pas pour autant séparer de la procréation et si le discours a pu évoluer sur certains aspects, concrètement, les normes restent les mêmes
On peut citer deux textes du Magistère.
Le Youcat, qui est le catéchisme à destination des jeunes, promulgué sous l’autorité de Benoît XVI. Celui-ci fonctionne sous forme de Question/Réponse et une des questions est consacrée à la masturbation
Question : Est-ce que la masturbation est une faute contre l’amour ?
Réponse : La masturbation est une faute contre l’amour parce que l’excitation de plaisir se fait dans une finalité égoïste, qui n’a rien à voir avec l’épanouissement de l’amour dans les rapports normaux entre un homme et une femme. C’est pourquoi le plaisir sexuel recherché pour lui-même est un désordre. (1)
Ce point est développé dans le Catéchisme officiel de l’Eglise Catholique promulgué sous l’autorité de Jean-Paul II :
Les offenses à la chastetéLa luxure est un désir désordonné ou une jouissance déréglée du plaisir vénérien. Le plaisir sexuel est moralement désordonné, quand il est recherché pour lui-même, isolé des finalités de procréation et d’union.Par la masturbation, il faut entendre l’excitation volontaire des organes génitaux, afin d’en retirer un plaisir vénérien. « Dans la ligne d’une tradition constante, tant le Magistère de l’Eglise que le sens moral des fidèles ont affirmé sans hésitation que la masturbation est un acte intrinsèquement et gravement désordonné. » « Quel qu’en soit le motif, l’usage délibéré de la faculté sexuelle en dehors des rapports conjugaux normaux en contredit la finalité. » La jouissance sexuelle y est recherchée en dehors de « la relation sexuelle requise par l’ordre moral, celle qui réalise, dans le contexte d’un amour vrai, le sens intégral de la donation mutuelle et de la procréation humaine. » (2)
La position de l’Eglise catholique sur la sexualité peut se résumer en deux points :
- La sexualité ne se pratique qu’à deux
- Pas d’éjaculation en dehors du vagin, ni d’entraves dans le vagin (contre la contraception)
Ces deux points excluent toutes les autres pratiques sexuelles, dont la masturbation, qu’elle soit solitaire ou altruiste.
Judaïsme orthodoxe
Le judaïsme orthodoxe fait une grande différence entre la masturbation masculine et la masturbation féminine. Le tabou principal est l’éjaculation (masculine). De fait, même si la masturbation féminine est déconseillée, elle est considérée comme beaucoup moins grave que la masturbation masculine :
« Rabbi Johanan a dit en effet : Quiconque émet du sperme en vain mérite la mort, car il est dit : « Ce qu’il faisait était mal aux yeux de l’Eternel, qui le fit aussi mourir (Gen. 38 :9). Selon Rabbi Isaac et Rabi Ami, cela équivaut à verser le sang (…) Selon Rabbi Assi, émettre du sperme en vain équivaut à adorer des idoles » (3)
On voit dans ce texte que les rabbins assimilent la masturbation au meurtre et à l’idolâtrie. Bien entendu, comme toujours, le langage talmudique est hyperbolique et ne doit pas être pris au pied de la lettre Toutefois, cela reflète bien la gravité de l’acte.
Protestantisme
Traiter la question de la masturbation au sein du protestantisme est plus compliqué, car il n’y a par définition pas d’autorité centrale. En dehors des protestants libéraux, qui ne se soucient pas vraiment de l’autorité de la Bible, on peut néanmoins dégager deux grandes tendances chez les conservateurs.
Une première qui condamne sans nuance la masturbation et une deuxième qui porte un jugement plus modéré sur la question. Pour illustrer, cette position on peut citer un extrait d’un manuel de théologie (à destination des jeunes) :
La Bible ne parle pas de la masturbation. Le péché d’Onan n’est pas la masturbation, mais le refus de donner une descendance à son frère décédé comme l’exigeait la loi du lévirat en écourtant la relation sexuelle (Genèse 38 : 8-9). A l’adolescence, avec la montée des hormones sexuelles, il y a la découverte de la sexualité et de votre propre sexe.
Dans la masturbation, il faut distinguer :*L’acte isolé : on la pratique occasionnellement*l’habitude : on s’y adonne régulièrement*l’acte compulsif : on ne peut pas « s’en empêcher »Il n’y a pas lieu de se culpabiliser à l’excès d’une masturbation occasionnelle, mais si l’on s’y adonne régulièrement, il y a un problème. Une pratique masturbatoire habituelle enferme dans un monde de fantasmes et ne prépare pas à rencontrer la personne réelle de l’autre sexe. Quant à la pratique compulsive elle est le symptôme d’un déséquilibre. Parce que la masturbation soulage une tension psychologique, elle peut devenir un piège. Cultiver les fantasmes n’est pas sain, ni saint ; les paroles de Jésus condamnant la convoitise nous invitent à les éviter (Matthieu 5 : 28-30). La sexualité est un peu comme un cheval sauvage qu’on doit apprendre à dresser, sinon il va tout casser : on n’y arrive peut-être pas tout de suite, mais on doit bel et bien avoir l’intention de le maîtriser pour pouvoir le mener là où on veut aller et non pas se laisser mener par lui (ce qui n’est bon ni pour vous ni pour les autres). (4)
La masturbation n’est donc pas considérée comme un acte banal et est plutôt désapprouvée. Mais elle n’est pas non plus condamnée aussi catégoriquement que dans le catholicisme ou le judaïsme. Ce sont surtout le caractère addictif et les risques liés au(x) fantasme(s) qui sont dénoncés.
Islam
L’islam n’a pas non plus d’autorité centrale. Les savants sont cependant assez unanimes sur cette question. A titre d’exemple, voilà une fatwa émise par un savant sunnite. Comme le Youcat, cette fatwa est sous forme de question/réponse
Question : « Considère-t-on le fait qu’un homme célibataire se masturbe, c’est-à-dire qu’il provoque lui-même l’éjaculation de son sperme, comme comparable à la fornication ? Quel est l’avis juridique de l’islam sur ceci ? »Réponse : La masturbation est désignée par plusieurs noms comme « l’habitude secrète » ou Jild cÂmîra. La plupart des savants la considèrent interdite. Cet avis est correct, car Allah le Très-Haut a mentionné les caractéristiques des croyants en disant :« Et ceux qui préservent leur sexe [de tout rapport], si ce n’est qu’avec leurs épouses ou les esclaves qu’ils possèdent, car là vraiment, on ne peut les blâmer ; alors que ceux qui cherchent au-delà de ces limites sont des transgresseurs. »Le transgresseur est la personne injuste qui ne respecte pas les limites d’Allah. Allah l’Exalté nous informe donc que celui qui cherche au-delà du rapport charnel avec son épouse ou l’esclave qu’il détient est un transgresseur. Il n’y a pas de doute que la masturbation rentre bien dans cette définition.Les savants ont donc déduit de ce verset que la masturbation, qui consiste à sortir son sperme avec la main en cas de désir, est interdite. Cet acte n’est pas permis, et contient de nombreux méfaits évoqués par les médecins. Certains savants ont même rédigé des ouvrages entiers pour recenser tous les méfaits de cette masturbation.Ton devoir à toi qui t’interroge sur cette affaire est de t’en éloigner vu ses préjudices évidents. En effet, elle est en contradiction avec le Livre d’Allah le Tout-Puissant, et se heurte à ce qu’Allah a permis à Ses serviteurs. Il faut donc l’éviter et s’en éloigner.Celui qui voit son désir s’accroître et craint de commettre la fornication doit se hâter de se marier, et s’il ne peut pas alors qu’il jeûne. Le Prophète, prière et salut d’Allah sur lui, a dit :« Ô jeunes gens ! Celui parmi vous qui peut assumer les charges du mariage, qu’il se marie. Il pourra ainsi mieux baisser son regard et préserver sa chasteté. Sinon, qu’il jeûne car le jeûne sera pour lui une protection (de la tentation). »Le Prophète, prière et salut d’Allah sur lui, n’a donc pas dit : « Que celui qui ne peut pas se marier se masturbe ou qu’il s’aide de sa main pour éjaculer », mais il a dit :« Sinon, qu’il jeûne car le jeûne sera une protection pour lui (de la tentation). »Dans ce hadith, le Messager d’Allah, prière et salut d’Allah sur lui, a mentionné deux choses :La première : s’empresser de se marier pour celui qui le peut ;La deuxième : Recourir au jeûne pour celui qui ne le peut pas, car le jeûne affaiblit les voies de Satan.Tu dois donc, serviteur d’Allah, observer la moralité religieuse et faire l’effort de préserver ta chasteté par le mariage, même si tu devais pour cela t’endetter ou faire un emprunt. Allah, qu’Il Soit Glorifié, t’aidera sûrement à rembourser, car le mariage est un acte pieux et celui qui désire se marier est digne d’être aidé. Le Prophète, prière et salut d’Allah sur lui, n’a-t-il pas dit dans un hadith :« Allah se doit d’aider trois personnes : celui qui désire se marier pour préserver sa chasteté, l’esclave qui veut s’affranchir et le combattant dans le sentier d’Allah. » (5).
Il faut préciser que sur cette question, les chiites sont du même avis (6).
Conclusion
En conclusion, nous pouvons dire que dans leur majorité, les grandes religions monothéistes s’opposent toutes à la masturbation, à des degrés divers cependant. Certains courants protestants et musulmans étant plus souples sur cette question, que l’Eglise catholique ou le judaïsme orthodoxe (au moins pour la masturbation masculine).
La masturbation solitaire est le plus souvent réprouvée, car on considère que l’acte sexuel doit se dérouler au sein d’un couple.
En revanche, la masturbation altruiste est autorisée, dans le cadre du mariage, par certains courants (protestantisme et islam) et condamnée par d’autres (catholicisme et judaïsme).
Notes
(1) Youcat, Question 409.
(2) Catéchisme de l’Eglise Catholique, § 2351-2352.
(3) Talmud de Babylone, Nidda 13a.
(4) Alain Nisus (dir.), Pour une foi réfléchie. Théologie pour tous, 2012, p.773.
(5) Fatwa de Cheikh Ben Baz (Source et références bibliographiques)
(6) Voir par exemple l’avis de l’Ayatollah Sistani, une des principales autorités chiites contemporaines.
Crédit photos : Garance Marty
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