INTERNATIONAL - Il s'est passé moins de quatre heures entre la stupeur provoquée par l'assassinat de l'ambassadeur russe Andreï Karlov et l'effroi suscité par l'attentat du marché de Noël de Berlin. Deux attaques aux méthodes et aux fins bien différentes, mais qui apparaissent comme des conséquences directes de l'enlisement du conflit syrien, et des forces qui s'y affrontent.
À Ankara, Mevlüt Mert Altintas a abattu froidement le diplomate russe en évoquant la situation d'Alep. Depuis plusieurs mois, l'Allemagne est désignée comme une cible par l'Etat islamique, à cause notamment du soutien militaire de Berlin à la coalition internationale contre Daech. Daech, qui a revendiqué mardi soir l'attentat mené à Berlin la veille. Si le gouvernement turc a accusé mardi soir le réseau du prédicateur Fethullah Gülen d'être "derrière" l'assassinat de l'ambassadeur, les attentats de Berlin et d'Ankara n'en apparaissent pas moins comme les deux faces d'une même pièce.
Derrière Ankara, Alep, l'Iran...
Plusieurs spécialistes ont compris l'attentat contre Andreï Karlov comme une tentative de déstabilisation des relations entre Ankara et Moscou. Vladimir Poutine n'a pas dit autre chose. "Le crime qui a été commis est sans aucun doute une provocation destinée à perturber la normalisation des relations russo-turques", a déclaré dans la soirée le chef du Kremlin. Un point de vue que partage également le président turc Recep Tayyip Erdogan. Alors, comment en est on arrivé là?
La position ambiguë de la Turquie vis-à-vis de la Syrie a conduit à une crise ouverte avec Moscou, dont le point culminant fut l'attaque d'un avion militaire russe survolant l'espace aérien turc. À cette époque, Poutine accusait Erdogan de protéger le trafic de pétrole de Daech. Après cette escalade, et au lendemain du putsch raté en Turquie cet été, les relations se sont normalisées entre les deux pays. À tel point que l'évacuation d'Alep a été négociée il y a quelques jours par la Turquie et la Russie. Pourtant, le président turc défendait une ligne contradictoire de celle de la Russie sur l'issue du dossier syrien (et a même tenté de faire pression sur Poutine sur le sort d'Alep).
Souhaitant le départ de Bachar al-Assad (et favorable à l'instauration d'un régime sunnite auquel la Russie est hostile), Erdogan, en pactisant avec la Russie dans un deuxième temps, a désorienté certains membres de son parti de l'AKP (islamo-conversateur). Ces derniers ont toujours pris la défense des sunnites, voire des islamistes d'Alep contre les troupes du régime. D'autant que les forces de Bachar al-Assad sont épaulées par des "conseillers militaires" iraniens en charge des combattants du Hezbollah libanais alliés à Assad (donc chiites). "Quand on voit les manifestations à Istanbul contre la Russie et l'Iran et en soutien à Alep, on voit que les partisans zélés de l'AKP y sont", a expliqué à l'AFP Aykan Erdemir, de la Fondation pour la Défense de la démocratie.
En criant "Allah Akbar" ("Dieu est grand") et en évoquant en arabe "ceux qui ont fait allégeance au jihad", le tueur d'Andreï Karlov (diplomate incarnant la Russie combattant aux côtés des chiites) adopte le champ lexical du Front Fatah Al-Cham, les jihadistes qui résistent à Alep (ancien Front al-Nosra). Notons que cet assassinat a eu lieu la veille d'une rencontre cruciale consacrée à la Syrie entre les chefs de la diplomatie de la Russie, de la Turquie et de l'Iran.
Ci-dessous, un aperçu (non exhaustif) des forces engagées en Syrie, montrant que la Russie agit surtout à l'Ouest (notamment à Alep et ses environs), où se trouve la rébellion syrienne. Aussi, le drapeau allemand a été placé arbitrairement dans la province de Raqqa (fief de Daech), dans la mesure où l'Allemagne mène uniquement des opérations de reconnaissance à l'encontre de l'EI.
Berlin, la coalition, les migrants et Bachar
Avant l'attentat de Berlin revendiqué par Daech, cela fait longtemps que l'Allemagne est dans le collimateur de Daech. Depuis le début de l'année 2015, plusieurs agressions isolées liées au jihadisme ont eu lieu sur le sol allemand, dans ce "pays croisé" dont parlait Fabien Clain dans son message de revendication des attentats du 13 novembre, ce pays qu'il souhaitait toucher au même titre que la France en choisissant de passer à l'acte à Saint-Denis pendant un match France-Allemagne.
Outre ces fois où des terroristes se revendiquant de Daech sont passés à l'acte en Allemagne, les renseignements américains avaient pressenti une attaque contre un marché de Noël sur le sol allemand. Mais pour quelle raison l'Allemagne (qui n'a pas vraiment d'armée), est-elle prise pour cible?
Même si l'armée allemande ne participe pas directement aux bombardements visant les positions du groupe État islamique en Syrie et en Irak, elle est effectivement impliquée dans son fonctionnement. Au lendemain du 13 novembre, les députés allemands approuvaient massivement le déploiement de forces en soutien aux opérations menées par la coalition en Syrie (essentiellement des appareils de reconnaissance et de ravitaillement pour épauler l'aviation engagée par la France ou les États-Unis). Des soldats allemands doivent également participer aux équipages internationaux des avions AWACS de l'Otan (basés à en Turquie).
Autre élément liant cet événement au conflit syrien, l'Allemagne a accueilli l'an dernier plus d'un million de demandeurs d'asile, dont un bon nombre fuyant la Syrie de Bachar al-Assad (dont il n'est plus à prouver qu'il a été soutenu par la Russie). Enfin, rappelons que Bachar al-Assad a instrumentalisé les jihadistes de l'EI pour apparaître comme le seul rempart contre le péril islamiste.
http://www.huffingtonpost.fr/2016/12/20/ce-que-les-attentats-de-berlin-et-ankara-nous-apprennent-des-for/
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